# L'interdiction du cannabis en France: historique, enjeux et perspectives La politique répressive française sur le cannabis est parmi les plus strictes d'Europe, malgré une consommation record. Entre répression coûteuse et opportunités manquées, tour d'horizon d'une prohibition qui pose question face aux évolutions mondiales. ## Contexte historique de la législation française L'État français criminalise le cannabis depuis plus d'un siècle. **Napoléon** interdit son usage par un décret du 9 octobre 1800. En 1916, en pleine guerre, une loi sur les « substances vénéneuses » inclut le cannabis afin de « démoraliser » moins les soldats. La première grande loi moderne est celle du **31 décembre 1970**, qui instaure la lutte sanitaire et pénale contre les stupéfiants. Elle punit l'usage de cannabis (comme toute drogue illicite) d'un an d'emprisonnement et d'une forte amende, les douanes se concentrant sur les trafiquants. Dans les années 2000 apparaissent des adaptations : par exemple, la loi Perben de 2003 (dite « loi Marisol ») renforce les contrôles routiers (contravention de 4 500 € et suspension de permis en cas d'accident causé sous cannabis). Plus récemment, depuis 2020 l'usage simple de cannabis (possession d'une faible quantité) fait l'objet d'une **amende forfaitaire** de 200 € (150 € minoré ou 450 € majoré selon délai de paiement), remplaçant en pratique les poursuites pénales systématiques. ## Statistiques en France: consommation, répression et santé publique ### Consommation Le cannabis demeure la **drogue illégale la plus consommée en France**. Selon l'OFDT, environ **5 millions de Français ont utilisé du cannabis au moins une fois dans l'année**. En 2023, environ **10,8 %** des adultes (18–64 ans) en consomment au moins une fois par an, et **900 000** le consomment tous les jours. Ces chiffres illustrent un usage important, surtout chez les jeunes : parmi les 17 ans, près de **20 %** ont déjà expérimenté le cannabis dans leur vie (un niveau historiquement bas depuis la fin de la décennie 2010). Les hommes jeunes restent les plus concernés. À l'échelle européenne, la France se situe au-dessus de la moyenne : par exemple, seuls **5,4 %** des adultes néerlandais déclarent un usage annuel, contre 6,8 % en moyenne européenne. Le cannabis est cultivé et consommé en grand nombre de variétés en France comme dans le monde. Les produits et leur teneur en THC ont augmenté ces dernières années, ce qui inquiète les autorités sanitaires. ### Répression Chaque année en France, **environ 200 000 personnes** sont mises en cause pour infraction à la législation sur les stupéfiants, dont environ 44 000 pour trafic et **179 000 pour usage**. En pratique, la quasi-totalité de la répression vise l'usage personnel de cannabis. Depuis 2020, l'amende forfaitaire remplace souvent la poursuite judiciaire pour usage simple (200 €), ce qui a diminué le nombre de condamnations au tribunal. Toutefois les forces de l'ordre saisissent en masse : record historique en 2022 avec **128,6 tonnes** de cannabis interceptées. Le « marché noir » reste donc très actif. ### Santé publique Le cannabis n'entraîne pas de surdose mortelle classique, mais il comporte des risques. Une consommation régulière peut créer une dépendance (estimée à environ 9 % des utilisateurs) et augmenter le risque de troubles psychiatriques (psychoses) chez les sujets vulnérables. Elle est également associée à un surcroît d'accidents de la route et peut altérer les fonctions cognitives, surtout chez les plus jeunes (dont le cerveau est en développement). Les autorités de santé soulignent ainsi la nécessité d'informer sur ces risques même si le cannabis est parfois considéré à tort comme inoffensif. En France, la consultation « Cannabis » de Santé publique France note par exemple un profil varié des usagers, avec 900 000 usagers quotidiens nécessitant une surveillance sanitaire continue. ## Comparaisons internationales: modèles dépénalisés ou légalisés Des approches variées à travers le monde montrent que l'interdiction totale n'est qu'une option parmi d'autres - avec des résultats parfois surprenants. ### Pays-Bas (modèle des coffeeshops) Depuis 1976, la vente privée de petits volumes (≤ 5 g) est tolérée en coffeeshops, bien que la production reste illégale. Les Néerlandais ont l'un des taux d'usage les plus faibles d'Europe : _seulement 5,4 % des adultes_ en consomment chaque année, contre 6,8 % dans l'UE. L'encadrement (café-vente réglementée, pas de contact avec drogues dures) n'a pas entraîné d'explosion de la consommation, qui reste « typiquement européenne ». Une étude américaine note même que la politique hollandaise pourrait avoir limité la « passerelle » vers les drogues plus dures en séparant les marchés. Les ventes légales ont généré environ 600–700 millions d'euros par an (hors taxes) dans les années 2010, mais l'absence de filière légale de production maintient un marché souterrain important. ### Canada La légalisation du cannabis récréatif (octobre 2018) a créé un vaste marché réglementé. En 2021, **22 % des Canadiens** (15 ans et +) déclaraient avoir consommé du cannabis dans l'année (vs ~15 % avant). Depuis la réforme, la consommation est restée globalement stable ou en légère hausse (avec un pic pendant la pandémie de Covid). La moitié des utilisateurs plus jeunes n'ont pas augmenté leur consommation après légalisation. Économiquement, le secteur a rapidement valu **10,8 milliards CAD** en 2023, contre 6,4 milliards à l'origine. Fiscalement, l'État encaisse d'importantes recettes (plusieurs milliards par an). Au niveau légal, environ 70 % de la valeur du cannabis consommé provient désormais de canaux licites (contre ~22 % en 2018). Juridiquement, les arrestations liées au cannabis ont plongé : avant 2018, la majorité des poursuites visaient la possession ; en 2022, 67 % des infractions étaient liées à l'importation/exportation, seulement 12 % à la possession. ### États-Unis (exemple du Colorado et Washington) Depuis 2012, le Colorado et l'État de Washington ont légalisé le cannabis récréatif. Dans ces États, la consommation adulte (18+) atteint environ 15–20 % par an, un chiffre en légère hausse. Les ventes légales ont généré chacune près de **1 milliard de dollars** de chiffre d'affaires annuel dans les années récentes, avec un surplus fiscal significatif. Les données sanitaires montrent une augmentation modérée des visites aux urgences pour surconsommation ou accidents liés, mais pas d'explosion soudaine (la consommation chez les adolescents, qui reste interdite, est restée stable ou a légèrement baissé). Globalement, la légalisation a entraîné une forte baisse des poursuites pour simple possession et a « déradicalisé » le marché sans bouleverser l'ordre public. ### Uruguay Premier pays au monde à légaliser intégralement le cannabis récréatif (2013), l'Uruguay a mis en place un système très contrôlé (achats par pharmacies licenciées, clubs sociaux, culture personnelle limitée). Les études disponibles montrent que la prévalence de consommation n'a guère évolué par rapport aux voisins : l'usage adolescent et adulte reste modéré et comparable à la région. Les objectifs de santé publique et de sécurité (réduire la violence liée au trafic) sont encore débattus : pour l'instant le marché noir persiste partiellement, et l'impact sur la criminalité reste mitigé. Le prix du cannabis légal y est fixé au niveau des prix illicites pour éviter une explosion des achats. ### Allemagne Le gouvernement de coalition allemand (SPD/Verts/FDP) prévoit une **légalisation encadrée** (entrée en vigueur espérée en 2024–2025). Le projet prévoit la vente de cannabis réglementée dans les pharmacies et clubs sociaux, et l'autorisation limitée de culture personnelle. Officiellement, l'objectif est de protéger les jeunes et de retirer le marché aux criminels. Jusqu'ici, l'usage du cannabis en Allemagne (environ 15–20 % des 18–64 ans déclarent un usage annuel) était déjà relativement élevé en Europe. Les autorités collectent actuellement des données pour évaluer rigoureusement l'impact (accidents, santé, usage chez les mineurs) une fois la réforme appliquée. ## Effets sociaux, sanitaires et économiques de l'interdiction La répression du cannabis coûte des milliards d'euros chaque année à l'État français, entre opérations policières, procédures judiciaires et incarcérations, sans pour autant parvenir à réduire significativement la consommation. L'interdiction du cannabis a des effets notables en France. **Socialement**, elle alimente un vaste marché souterrain (valant plus de 3 milliards d'euros par an) géré par le crime organisé, plutôt que par des acteurs contrôlés. Le refus de légaliser prive le Trésor public de recettes fiscales potentielles considérables. Une étude de 2014 du think tank Terra Nova a estimé que _la dépénalisation seule_ ferait économiser environ **311 millions €** par an en coûts de justice et police, tandis qu'un **monopole public** permettrait de diminuer de 523 M€ les dépenses répressives et de lever environ **1,3 milliard €** en taxes supplémentaires. Le scénario le plus radical (marché concurrentiel autorisé) était évalué à près de 2,2 milliards € de gain public annuel (au détriment d'une hausse possible de la consommation). Sur le plan **sanitaire**, le coût de l'interdiction est aussi élevé. Chaque année, l'État dépense plusieurs centaines de millions d'euros pour les opérations policières, les procédures judiciaires et l'incarcération liées au cannabis. En parallèle, la lutte contre la toxicomanie inclut le cannabis dans ses campagnes, sans être assurée que la prohibition en réduise la prévalence. Des comparaisons internationales suggèrent que la répression punitive ne conduit pas à des bénéfices sanitaires clairs : par exemple au Portugal (où toute drogue a été décriminalisée en 2001), on a observé une **baisse très forte** des infections par le VIH et des overdoses mortelles (le taux de nouvelles infections à VIH chez les usagers de drogues est passé de 104 à 4 cas par million entre 2000 et 2015, et les décès liés à la drogue de 80 à 16 par an). Cet exemple illustre que des politiques orientées vers la santé publique et le traitement (plutôt que vers la sanction) peuvent améliorer les indicateurs sanitaires et réduire les coûts. En matière de **sécurité**, l'interdiction est censée diminuer les troubles sociaux, mais elle a aussi pour effet de criminaliser les usagers. En France, les forces de l'ordre consacrent chaque année d'importants moyens au cannabis – des milliers d'unités spéciales, contrôles routiers, perquisitions – pour un résultat discuté. La confiscation de lourdes quantités (128 t en 2022) montre l'intensité du trafic, mais l'insécurité et la violence associées (règlements de comptes, armes saisies) augmentent aussi avec la concurrence entre dealers. Par ailleurs, la stigmatisation judiciaire des consommateurs (fiches, condamnations) peut pénaliser les jeunes plus que prévenir l'usage. ## Causes politiques et culturelles de la persistance de l'interdiction L'interdiction du cannabis persiste en France pour des raisons à la fois politiques, culturelles et institutionnelles. La tradition répressive française sur les drogues est ancienne et ancrée dans un principe paternaliste : l'État se veut protecteur, estimant que toute dépénalisation risquerait d'encourager la consommation et de nier les risques sanitaires. Les enquêtes d'opinion reflètent ce clivage : même si une majorité de Français soutient désormais la **dépénalisation** (amnistie pour petits usages) dans certains sondages récents, ils restent divisés sur la **légalisation totale** (vente contrôlée) selon les années. Politiquement, aucun grand parti n'a fait de la légalisation un combat majoritaire. À droite comme à gauche, l'opinion est contrastée : la droite traditionnelle (droite républicaine, Extrême droite) est fermement opposée, associant le cannabis à une dérive sociale (lien symbolique avec Mai 68 et la contestation). Une partie de la gauche a exprimé plus de souplesse, mais sans l'unanimité : seuls quelques petits partis ou associations plaident ouvertement pour un modèle hollandais ou canadien, tandis que le gouvernement (y compris sous présidents de gauche) a préféré maintenir la ligne prohibitive. La crainte d'être perçu comme « laxiste » ou le poids des engagements internationaux (traités de l'ONU interdisant le cannabis) sont des facteurs supplémentaires. Culturellement, le tabou du cannabis reste fort : beaucoup de Français le voient comme une drogue de « gâchis » ou un lien vers le trafic, et les médecins et policiers alertent sur les risques. Ainsi, malgré les évolutions dans le monde, la doxa française privilégie encore la répression comme réponse par défaut, estimant qu'elle protège l'ordre public et la santé, en l'absence de consensus solide pour changer de cap. L'exemple français illustre les paradoxes d'une politique répressive qui, malgré son coût et ses limites évidentes, persiste par inertie politique et culturelle. Les expériences étrangères suggèrent qu'un autre modèle est possible, combinant encadrement légal et approche sanitaire. Mais la France pourra-t-elle surmonter ses réticences historiques pour envisager une révision de sa politique prohibitionniste ? Le débat ne fait que commencer. **Sources** : Ce dossier s’appuie sur des données officielles et études récentes (OFDT, Santé Publique France, reports de l’UNODC, etc.) pour présenter un panorama factuel et comparatif du cannabis en France et à l’étranger. Il est important de noter que les chiffres et les tendances peuvent évoluer rapidement, et il est donc conseillé de consulter des sources fiables pour des informations à jour.